Qu’est-ce qui vous a décidé à tenter ce vol ? Quelles étaient les prévisions météo ?
Nous avions rêvé de la Corse en planeur avec Gil depuis longtemps déjà. La traversée de Fayence vers Bastia n’est pas une nouveauté, elle a déjà plus de quarante ans. Les conditions y ont été décrites comme très belles et très puissantes. La traversée plus au sud vers la Sardaigne ou celle vers le sud de l’Italie ont été réalisées une fois également. Mais jamais celle vers Bologne pour remonter vers le nord.
Cela fait deux ans déjà que je me demande si un retour au point de départ en passant par la Corse et l’Italie n’est pas envisageable. Un flux d’ouest de printemps comme il en existe chaque année, pas trop large, tournant légèrement sud-ouest sur les côtes italiennes. J’ai écumé les archives météo des cinq dernières années et en suis arrivé à la conclusion que deux ou trois fois par an il y a un créneau pour le réaliser. C’est également au printemps que la plaine du Pô, qui n’est pas encore surchauffée, donne ses meilleurs thermiques.
C’est donc avec toutes ces données en tête que j’ai rêvé d’un parcours partant de Fayence, traversant la Corse du nord au sud puis du sud au nord, puis basculant en Italie entre Pise et Bologne pour revenir par la plaine du Pô et Turin, rejoignant les Alpes par la vallée de Suse qui est le meilleur point d’entrée vers la haute montagne, et enfin terminant à Fayence, pour un total de 1150 km en un triangle parfait.
Le jour précédant le vol, le 24 mai, une perturbation pluvieuse traverse le sud de la France. Elle finira par s’évacuer à 15h, laissant place sur Fayence à un beau soleil et à un bon vent d’ouest. Le timing est parfait car cette perturbation aura le temps d’évacuer l’Italie le lendemain, et le flux d’ouest restera encore en place toute la matinée du 25. Si ce flux d’ouest s’orientant au sud-ouest sur Pise est parfait pour la Corse et l’Italie, il parait en revanche très faible et surtout peut-être trop ouest sur Fayence. Nous verrons bien.
Combien de temps a duré le vol ?
La fin du printemps est propice aux très longs vols. La durée du jour aéronautique peut atteindre 16h voire plus. Nous avons décidé d’exploiter la journée dès le début. N’étant pas certains des conditions au départ, il nous faudrait du temps. Si nous en venions à rejoindre l’Italie trop tôt, et donc avant l’activité thermique, nous patienterions sur la Corse. C’est donc à 5h37 précise que nous avons pris notre envol de l’aérodrome de Fayence, pour n’y revenir qu’environ 14 heures plus tard, à 19h30.
Quelle distance et quelle altitude avez-vous atteint ?
Le profil d’altitude de ce vol est très atypique. Très haut au débuté 5000m, puis long plané au-dessus de la mer jusque 2000m, puis de nouveau très haut entre 5000m et 6000m sur tout le trajet en Corse, avant d’arriver plutôt bas sur l’Italie, 1400m, puis une altitude moyenne de 3000m avant la plaine du Pô, où le profil devient celui d’un vol de plaine, oscillant entre 1100m et 2300m, avant enfin de retrouver les montagnes et le vent qui nous propulsent de nouveau très haut à 5500m pour terminer par le dernier long plané final pour la maison.
Tout cela pour une distance totale de 1150km, découpée en 250km de première traversée maritime, 300km au-dessus de la Corse, de nouveau 200km entre l’eau et les terres sur l’Italie, 100km de moyenne montagne avant la plaine, 100km de plaine et enfin les derniers 200km de montagne vers le sud.
Parlez-nous de votre vol. Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Un vol en planeur se compose toujours de plusieurs aspects et parties distincts. En premier lieu, et avant même de voler, il y a la partie logistique, et il est indispensable de ne pas la négliger sur 14h de vol. Installation à bord, confort, équipement, nourriture. Tout cela doit être visé au plus juste afin de ne manquer de rien. Notre principale difficulté était l’équipement car nous aurions froid en début de vol et chaud ensuite. Nous avons décidé de nous équiper pour le froid et avons bien mis 10 minutes chacun au-dessus de la Corse pour enlever nos manteaux !
Deuxièmement l’aspect purement technique, la partie pilotage en quelque sorte. Sur ce long vol nous avons dû faire face à une seule difficulté technique, aux environs de 12h30 lors du premier raccrochage en Italie. Nous avons positionné notre point de virage trop à l’est, et avons perdu beaucoup d’altitude pour revenir dans des conditions meilleures. Seulement entre les turbulences, les thermiques hachés et la proximité des collines il a fallu batailler de longues minutes. C’est un exercice auquel je suis rôdé et tout s’est bien terminé avec une belle remontée à 3000m ! En dehors de ce passage, aucun n’a véritablement été difficile.
Parlons de l’aspect décisionnel. C’est peut-être celui qui conditionne la réussite d’un vol. On dit qu’un pilote de planeur doit prendre une décision toutes les 30 secondes. Heureusement toutes ces décisions ne sont pas toutes critiques pour la suite du vol. Lors de notre vol du 25, je vois 4 décisions importantes qui auraient pu compromettre la réussite de notre projet. La toute première, c’est la décision de remettre le moteur en route au-dessus de Fayence car nous ne montions quasiment pas à 2000m. Est-ce qu’à 4000m ce serait meilleur ? Il fallait essayer. Tant pis pour la validation officielle du record car nous ne respecterions plus la règle des 1000m. Et ce fut payant car l’onde était légèrement meilleure plus haut. Cela nous a permis d’atteindre les 5000m. Ensuite, la décision de traverser. La veille nous n’envisagions pas de traverser vers la Corse sans avoir atteint 6000m sur le continent. Et pourtant à 5100m, au-dessus de Nice, et alors que nous ne montions plus, nous sommes partis. Car le local de Calvi était assuré et le vent bien arrière. Et c’est passé sans problème bien sûr. Nous sommes arrivés suffisamment haut sur le Cap Corse pour poursuivre.
Troisième décision, l’arrivée en Italie. Au loin sur Bologne se dessinait une belle confluence, mais 45 degrés de notre route. A gauche sur notre route, quelques rotors, pas vraiment jolis mais sans doute exploitables. Et cette dernière décision, malgré la seule difficulté technique que nous avons rencontrée, a été la bonne puisque nous avons cheminé dans cette petite onde sur plus de 100km et avons rejoint la confluence qui était convergente avec notre route.
Enfin la dernière décision lors de la traversée de la plaine du Pô, tout droit en thermique pur ou en faisant des écarts importants pour espérer rester sous les quelques Cumulus que nous voyions ? Le pari d’aller tout droit fut le meilleur.
Nous abordons enfin le dernier aspect du vol. Celui que nous ne maîtrisons pas, c’est-à-dire les événements extérieurs que nous n’aurions pas pu anticiper. Lors de notre vol la grosse difficulté, et qui a presque occulté toutes les autres, a été le dialogue avec le contrôle aérien. Je ne reviendrai pas en détail là-dessus mais cela demande une énergie importante, malheureusement parfois au détriment de celle qu’il faudrait réserver à la conduite du vol. Heureusement que nous étions deux et que Gil conduisait le vol pendant que je bataillais avec le contrôle. Au final nous avons obtenu ce que nous voulions, non sans mal. Et c’est évidemment un point-clé de la réussite ou non d’un grand vol. C’est la première fois que j’éprouve autant de difficultés avec le contrôle aérien, ce qui veut dire que toutes les autres fois ça se passe très bien, je ne suis donc pas inquiet pour les vols à venir. C’est un véritable atout lorsque les contrôleurs adhèrent à notre projet et nous les remercions pour les maints services rendus depuis plusieurs années déjà.
Vous avez dû traverser une grande étendue d’eau pour rejoindre la Corse, puis l’Italie. Quelle précaution doit-on prendre pour effectuer un tel vol ?
Ces traversées ne se prennent pas à la légère. On ne peut pas dire « je tente on verra bien ». Il faut être certain de réussir. Pour cela il y a les outils informatiques bien sûr, leur confirmation par le calcul mental et enfin le ressenti. Si la deuxième traversée avec le vent arrière ne pose absolument aucun problème a priori, car le ressaut du Cap Corse nous donne pour sûr les 6000m autorisés et la distance à parcourir est moins importante avec du vent plein arrière, la première traversée continent-Corse est plus délicate. La distance entre Nice et Calvi est de 180 km. Une fois à 50km des côtes on ne peut plus revenir à cause du vent (50km à 5000m donne une finesse de 10 avec 80km/h de vent de face, ce qui est encore raisonnable). Il reste donc 130km à parcourir. On a souvent tendance à surestimer les performances de nos planeurs avec du vent arrière. Nous avons globalement tiré une finesse de 60 pour la traversée, ce qui est à peine plus que la finesse nominale du planeur. Nous sommes toutefois partis de la côte à une finesse 35 de Calvi, ce qui est tout à fait sécuritaire.
Bien sûr conformément à la réglementation nous emportons des gilets de sauvetage, mais en cas de problème ce ne sera pas suffisant surtout si les secours mettent du temps à arriver. Les précautions à prendre sont au minimum l’emport d’une balise de détresse, d’avoir prévenu plusieurs personnes de notre tentative de traversée et un contact permanent avec le contrôle aérien pour une coordination rapide si besoin.
Vous êtes des habitués des grands vols. Y a t-il un trajet en particulier que vous rêveriez d’effectuer un jour ?
Il y a constamment de nouvelles idées de grands vols qui germent dans nos têtes. Il y a également l’envie de réitérer certains exploits passés, comme par exemple la traversée de l’Espagne jusqu’au Maroc en ayant décollé de France réalisée il y a maintenant près de 30 ans. Il faut aussi réserver quelques surprises comme ce vol du 25 mai qui a étonné par son originalité je pense.
Félicitation à Baptiste Innocent et Gil Souviron pour ce vol exceptionnel !